La Gazette#56

 
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Le Scheutbos, institution pilote dans le cadre du programme d’utilisation rationnelle de l’énergie 

Suite au succès du projet en 2016, la confédération bruxelloise des entreprises non marchandes (cBenM) a lancé un appel à candidature à l’attention des hôpitaux et maisons de repos de la région de Bruxelles capitale. ce projet, soutenu par Bruxelles environnement, a pour objectif un accompagnement gratuit à l’utilisation rationnelle de l’energie visant à la fois un objectif quantitatif, baisse des consommations d’énergie (chauffage, électricité, eau), et qualitatif, instauration d’une politique de gestion de l’énergie pérenne. Le centre gériatrique scheutbos fait partie des 8 institutions sélectionnées. 


 

Tous fous ? Tous dangereux ?

 

Justice et santé mentale, l’internement en Belgique expliqué par des professionnels de la santé

A l’initiative de deux professionnels de la santé mentale, le Docteur Pierre Schepens, Psychiatre - médecin chef du site de la Clinique de la Forêt de Soignes et Virginie De Baeremaeker, Psychologue-criminologue à la Clinique de la Forêt de Soignes, le CBCS* diffuse une série d’articles sur l’internement en Belgique, comme trajectoire pénale (et non comme mesure de protection), souvent mal connue.
Avec, entre autres, ces questions : « Etre interné pour échapper à la prison ? Tous fous ? Tous dangereux ? Un parcours d’internement, c’est quoi exactement ? Quels dispositifs de soins existent en aile psychiatrique ? Que deviennent les personnes internées une fois dehors ? » etc...
Ainsi qu’un regard jeté sur le passé de cette clinique peu commune permettant de comprendre l’évolution d’une institution jusqu’à son projet de places réservées à l’internement.

Objectifs de ce partenariat rédactionnel : aller au-delà des idées reçues et pourquoi pas, favoriser la concertation entre soins hospitaliers et ambulatoires...
Ces articles se veulent écrits comme un feuilleton, par épisodes et seront publiés d’octobre 2017 à septembre 2018.

*CBCS : Conseil Bruxellois de Coordination Sociopolitique

Quatrième article de notre série "L’internement comme trajectoire pénale", par Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue.
Les dingues et les paumés sacrifient Don Quichotte
Sur l’autel enfumé de leurs fibres nerveuses
Puis ils disent à leur reine en riant du boycott :
"La solitude n´est plus une maladie honteuse [1] »

Dans les épisodes précédents


Jusqu’ici nous avons, nous l’espérons, pu démontrer que la réalité de l’internement en Belgique est loin d’être un « bon plan » pour échapper à la prison, voire à la justice. Mais également que nous héritons du passé rocambolesque de la clinique dans laquelle nous travaillons. (Lire épisode précédent ici) Sur base de ces postulats et en mode candide, notre « mythe fondateur » était de prendre en charge les personnes internées comme n’importe quels autres patients. Mais sont-ils réellement comme n’importe quel patient ? Ils sont « fous », certes (et encore) mais en plus ils sont dangereux … (à voir)

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Sécurité, valeur montante. Folie, au placard !


“Tu fais quoi dans la vie ? “ 
”Psychologue-criminologue” 
“Et tu travailles où ?” 
“Dans un hôpital psychiatrique avec des personnes internées libérées à l’essai “ 
“C’est pas dangereux ça ? »

Voilà une question qui nous est couramment posée lors de rencontres ou de dîners de famille et à laquelle il est parfois difficile de répondre. Dangereux ? Pour qui ? Pourquoi ? Pour nous ? Pour eux ?

Ces questions sont le reflet d’une image socialement partagée : le fou est dangereux, il fait peur. La folie donne un sens à la dangerosité : lorsque quelqu’un est dangereux il est forcément fou, et inversement un fou est nécessairement dangereux. Dans un contexte sociopolitique où la sécurité est une valeur montante, les fous dangereux n’ont pas bonne presse. Les médias s’en donnent à cœur joie, les séries sur les fous dangereux ont un incroyable succès, … bref cette vérité se construit et s’affirme : folie et dangerosité vont de pair.

Pourtant, quitte à en décevoir certains, « Esprit Criminel » ne fait pas écho à notre pratique. Loin de Quantico et des Unités Spéciales, notre réalité de terrain est tout autre. Il s’agit d’accompagner des personnes malades mentales tout juste sorties de prison. Et même si cette réalité semble plus sobre, une vraie question persiste : sont-ils réellement dangereux ? Et puis sont-ils fous ? Bref sommes-nous fous de vouloir travailler avec des présumés “fous-dangereux” ?

Il m’a interné ce fou ! [2]


Etre au regard de la loi « fou » et « dangereux », qui décide ? C’est à l’expert psychiatre que revient la tâche délicate d’évaluer l’état mental et la dangerosité de l’inculpé.

Pour ce faire, cet expert rencontre le justiciable et a pour mission de répondre à certaines questions : la personne était-elle atteinte d’un trouble mental ? Y-a-t-il un lien causal entre le trouble mental et les faits ? Y-a-t-il un risque de commettre de nouvelles infractions ? Y-a-t-il des possibilités de soins en vue d’une réinsertion ?

Très peu de médecins psychiatres acceptent de travailler comme expert. Ainsi, le dernier rapport de l’OIP [3] relevait qu’à Bruxelles (arrondissement représentant environ un quart des affaires pénales traitées sur l’ensemble du territoire), la quasi-totalité des expertises psychiatriques était réalisée par moins de cinq psychiatres différents. Débordés par le nombre de demandes qui leurs sont adressées et assez mal payés, les experts psychiatres ont souvent beaucoup de difficultés à effectuer des expertises dans des délais raisonnables. Lorsque, enfin, le prévenu reçoit la visite de l’expert, il est, le plus souvent, assez inquiet. En effet, étant averti que cette visite va avoir lieu, la personne attend dans sa cellule parfois plusieurs semaines la venue de ce médecin qui aura à ses yeux le « pouvoir » de décider de son sort. Il ne s’agit donc pas de faire mauvaise impression. Et pourtant, entre la maladie mentale, le choc de l’incarcération, les éventuelles modifications de traitements et le stress de cette attente, ces prévenus sont dans un état mental peu propice à une expertise sereine.

Sous l’ancienne loi [4], le constat des expertises psychiatriques était bien souvent désolant : l’état mental de l’inculpé était évalué après une seule et unique rencontre, la majorité du temps très brève (souvent moins d’une heure et parfois à peine 10 minutes). Il est même déjà arrivé qu’un expert se contente de téléphoner aux proches du prévenu sans même prendre le temps de le rencontrer.

Parmi les modifications apportées par la nouvelle loi sur l’internement [5], certaines concernent des aménagements en vue d’une meilleure rémunération des experts, du respect du contradictoire, de la mise sur pied d’une procédure d’agrégation des experts.

Il nous paraît important de souligner qu’à partir du moment où c’est un expert qui détermine l’état mental de la personne à juger, on peut aisément comprendre la distinction qui existe entre les notions de « malade mental » et d’« interné ». En effet,la notion de malade mental est médicale tandis que la notion d’interné est juridique. Deux mondes très différents qui ont beaucoup de difficultés à se rencontrer et à parler un seul et même langage… Tous les malades mentaux ne sont pas internés (même ceux qui ont commis des faits) et tous les internés ne sont pas malades mentaux. Autrement dit, tous les fous ne sont pas dangereux et tous les gens décrétés dangereux, ne sont pas forcément fous !

Les dingues et les paumés….. Tous fous ? [6]


Comme toute question d’apparence simple, la réponse est multiple. Si l’on s’en tient strictement à la loi, la personne internée doit présenter un « trouble mental ». 
La belle affaire mais c’est quoi un trouble mental ? Et ça évidemment la loi ne le précise pas.

Dans notre pratique professionnelle avec les personnes internées libérées à l’essai, nous rencontrons majoritairement des personnes souffrant de troubles psychotiques (surtout la schizophrénie) ayant par moment perdu le contact avec la réalité. C’est bien souvent dans cet « instant », ce coup de folie, que la personne commet le délit qui lui donne accès à la case prison. Certains entendent des voix, d’autres voient des choses ou des personnes qui n’existent pas. Pour d’autres encore le complot et la persécution sont partout et les envahissent comme seule manière possible de percevoir le monde qui les entoure. Point commun à tous ces êtres aux destins chaotiques, une grande souffrance passée, présente et malheureusement souvent à venir.

Avec certitude, nous pouvons affirmer que nos patients sont pour une grande majorité « fous », entendons par là « malades », ce qui renforce l’évidence que leur place est à l’hôpital et pas en prison !

Après les trois brûlots antipsychiatriques que furent « Asiles » d’Erwing Goffman, « Le mythe de la maladie mentale » de Thomas Szasz et « L’histoire de la folie à l’âge classique » de Michel Foucault, la psychiatrie, alors majoritairement psychanalytique, prend un nouvel uppercut avec, en 1973, la publication dans la prestigieuse revue « Nature » de l’article du Professeur de Psychologie David Rosenham, de l’Université de Stanford en Californie.

Déjà critiqué pour être une institution totalitaire et déshumanisante, ce que va confirmer ROSENHAM au passage, c’est à la fiabilité et à la validité des diagnostics en psychiatrie que s’attaque cette étude.

Mais comment ?
Rosenham envoie 8 faux patients volontaires, sans aucun antécédent psychiatrique aux urgences de 12 hôpitaux psychiatriques à travers les Etats-Unis.
Tous les volontaires avaient pour consigne de prétendre entendre des voix de manière floue où revenaient trois termes : vide, creux et (bruit) sourd.
Tous furent hospitalisés.
Une fois hospitalisés, ils devaient ne plus se plaindre de ces voix et se comporter le plus normalement possible.
A chaque fois qu’ils étaient en contact avec les soignants, ils devaient affirmer que tout allait bien et que les voix avaient disparu. Bien sûr, ils acceptaient les médicaments qu’ils recrachaient ensuite dans les toilettes, comme beaucoup de patients le font encore aujourd’hui !
Leur seule particularité était de prendre des notes lors des activités thérapeutiques, toujours le plus banalement du monde et sans apparemment que cela ne dérange le personnel.
Sept patients sur huit reçurent le diagnostic de schizophrénie « en rémission » et, le huitième, celui de psychose maniacodépressive (aujourd’hui trouble bipolaire de type I).
Ils ont séjourné de 7 à 52 jours à l’hôpital avec une moyenne de 19 jours et furent, pour certains, jugés à risque de récidive, eu égard à l’épisode actuel et aux antécédents … qu’ils n’avaient pas !
A noter au passage que, si les soignants n’y ont vu que du feu, près d’un tiers des patients qui ont côtoyé ces faux malades ont mis en doute la réalité de leur maladie et les ont pris pour des journalistes ou des chercheurs.
Rosenham, afin d’assurer qu’il n’y avait pas de biais à son étude, a ouvert un second volet. Il a annoncé, au personnel d’un hôpital psychiatrique universitaire qui avait affirmé qu’il ne se laisserait pas berner, qu’il allait, dans les 3 mois à venir, y envoyer de nouveaux faux patients.
Sur 193 entrants, 48 furent identifiés comme simulateurs par au moins un membre du personnel, 23 par un psychiatre et 19, soit 10%, conjointement par un psychiatre et un membre du personnel … le problème c’est que Rosenham n’y avait envoyé personne !

Cette étude montre à quel point les critiques de diagnostic reposent sur des catégorisations fragiles et sont puissamment dépendantes du contexte.

Au-delà de la pertinence de pouvoir nommer pour pouvoir soigner, il ne faut pas perdre de vue le risque que le diagnostic ne deviennent plus qu’un processus d’étiquetage, permettant de distinguer, finalement d’une manière arbitraire, la normalité de l’anormalité sachant que cette distinction est éminemment complexe et influencée par le contexte.

Un même symptôme sera perçu comme anormal à une certaine époque ou dans une certaine culture et ne le sera pas à une autre époque ou dans une autre culture.

Cette rigidité des étiquettes psychiatriques est d’autant plus délétère qu’elle colle ensuite littéralement à la peau du sujet qui a été ainsi désigné.

Tous ces actes futurs et passés seront retraduits à la lumière du prisme déformant de ce diagnostic, surtout s’il est lourd, comme celui de schizophrénie, trouble bipolaire ou encore, psychopathie.

L’onde de choc provoquée par cette étude a favorisé, même si ce n’est pas le seul facteur, l’émergence du DSM III [7] et de ces déclinaisons ultérieures dont le DSM 5 [8] aujourd’hui.

Manuel athéorique, il se borne à décrire et classer les symptômes en diagnostic, près de 500, de manière décontextualisée et fiable (tout le monde peut, voire doit arriver à s’accorder sur ces critères) en renonçant à la validité (ces critères ne reposent plus sur une réalité biopsychosociale démontrée, jugée trop subjective).

Bref, lâcher la proie de la liberté pour l’ombre de la sécurité en privilégiant le formalisme sur le souci de vérité.

Ce DSM 5, aujourd’hui la bible de la psychiatrie, et la nouvelle loi sur l’internement ont dépoussiéré les anciens termes, "démence", "déséquilibre" et "débilité mentale", pour utiliser désormais, le terme de "trouble mental", issu directement du très américain DSM aujourd’hui, hélas, mondialisé.

Aucun système de pensée, vous l’aurez compris, ne détient LA vérité « sur les maladies mentales » et, s’il existe près de 500 troubles décrits dans le DSM 5 (pour information, il y a en avait une soixantaine dans le DSM I paru en 1952), il n’existe, à notre connaissance, aucune définition de la bonne santé mentale.

Excepté peut-être celle du célèbre John Bowlby, psychiatre et psychanalyste anglais pour ses travaux sur l’attachement, il disait : « la bonne santé mentale consiste en l’art de s’entourer de gens qui ne vous rendent pas malade ».

Nous voilà donc très peu avancés.
Par ailleurs, selon la loi toujours, nos patients ne sont pas que « fous », ils doivent, pour faire l’objet d’une mesure d’internement, représenter un danger, un risque de récidive.

Les dingues et les paumés….. Tous dangereux ?


“Si le fou prévient d’un danger, fuyez. ” Proverbe Téké

Un peu moins naïfs qu’à notre commencement, nous refusons de véhiculer l’idée selon laquelle les internés sont tous des "bisounours" victimes d’un système sécuritaire qui les contraint à tort. Outre la dangerosité liée aux passages à l’acte (parfois violents) en période de décompensation chez les patients psychotiques, une minorité présente en avant plan des troubles de la personnalité parfois réfractaires aux soins en milieu ouvert tels que nous les proposons.

Toute une série de tests existe, ils visent à évaluer tant la dangerosité actuelle que le risque de récidive. Les résultats aux tests, l’histoire du patient et son comportement dans les annexes psychiatriques des prisons nous donnent généralement un aperçu du degré de dangerosité de la personne, mais juste un aperçu. Le risque zéro n’existe pas, c’est d’ailleurs ce qui alimente la logique sécuritaire : on n’est jamais certain donc ne prenons pas le risque et enfermons !

Tout une série de facteurs influencent le risque de passage à l’acte violent et ce, peu importe que vous souffriez d’un trouble mental : l’âge, le sexe, le niveau socio-économique, l’abus de substance, un passé violent, …

Si on en revient à notre réalité hospitalière, la question du danger peut se poser à trois moments clefs : la demande d’admission, le déroulement de l’hospitalisation et la sortie du patient. A chacun de ces moments, l’équipe tente de rencontrer l’humain derrière l’acte commis. Riche de notre identité de soignant, nous avons probablement trop tendance à éviter l’acte pour se concentrer sur l’histoire du patient. Or, dans notre constante remise en question, il nous semble malgré tout important de s’arrêter sur l’acte commis comme indice inéluctable de la dangerosité, permanente ou ponctuelle, de la personne. « Si vous voulez comprendre l’artiste, vous devez regarder sa peinture » [9]

Dès lors, dans notre pratique quotidienne, il s’agit de surfer entre diverses rencontres : celle du patient, de la maladie, de l’acte et surtout de l’humain qui réunit ses trois aspects. Trouver une juste position pour être capable de soigner l’autre dans sa réalité, et cela amène parfois au constat que, pour certains, leur place est en prison.

Docteur Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker
Psychologue clinicienne
, Clinique de la Forêt de Soignes, janvier 2018

Illustrations : Charlotte De Saedeleer

Quelques chiffres utiles... [10]

  • De 85 à 97 % des agresseurs ne sont pas des malades mentaux ;
  • Plus de 90% des patients ayant été hospitalisés en psychiatrie ne sont pas violents ;
  • Le pourcentage d’actes de violence attribuable aux malades mentaux est estimé entre 3 à 5%, ce qui signifie que si on arrivait à éradiquer la violence liée aux troubles psychiatriques, 95 à 97 % des actes de violence continueraient d’être perpétrés.

Prochain rendez-vous en février !


Le prochain article sera l’occasion de rencontrer ces internés à travers le récit de plusieurs parcours qui illustrent bien la diversité des rencontres.

Notes
 

[1Les Dingues Et Les Paumes par Hubert Félix Thiefaine
[2] Parole d’interné
[3] L’Observatoire International des Prisons
[4] Loi du 1 juillet 1964 de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants
[5] Loi relative à l’internement du 5 mai 2016. Pour en savoir plus à ce sujet : http://www.brudoc.be/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=26544
[6] Référence au titre d’une chanson d’H.F. THIEFAINE
[7] Le DSM- III - Diagnostic and Statistical Manual, troisième révision - est un outil de classification des troubles mentaux publié aux États-Unis en 1980 par une équipe dirigée par Robert Spitzer au service de l’Association américaine de psychiatrie (APA).
[8] A lire à ce sujet : « Tous fous ou la psychiatrie 5.0 », Nicolas ZDANOWICZ, Pierre SCHEPENS, Editions Academia Louvain-La-Neuve, Collection Pixels, Octobre 2015.
[9] "Mindhunter", John DOUGLAS, Mark OLSHAKER, Editions Michel Laffont, Octobre 2017.
[10] « Risque de violence et troubles mentaux graves », J.-L. DUBREUCQ, C. JOYAL, F. MILLAUD, Annales Médico Psychologiques, Octobre 2005.


 

« NOUS SOMMES TOUS FOUS ! »

 
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Réelle épidémie de troubles mentaux ou illusion mercantile et mondialisation de la psychiatrie ? Pierre Schepens, médecin chef de la clinique de la forêt de Soignes, à Bruxelles, explicite l’actuel « boom » des maladies mentales, en dénonçant un modèle hégémonique américain : « une machine à fabriquer des troubles mentaux », derrière laquelle se cacherait un business éhonté. 


 

Justice et santé mentale #3

 

Justice et santé mentale, l’internement en Belgique expliqué par des professionnels de la santé

Trajet de soins pour patients internés : de la prison à un cadre de soin ouvert

 

A l’initiative de deux professionnels de la santé mentale, le Docteur Pierre Schepens, Psychiatre - médecin chef du site de la Clinique de la Forêt de Soignes et Virginie De Baeremaeker, Psychologue-criminologue à la Clinique de la Forêt de Soignes, le CBCS* diffuse une série d’articles sur l’internement en Belgique, comme trajectoire pénale (et non comme mesure de protection), souvent mal connue.
Avec, entre autres, ces questions : « Etre interné pour échapper à la prison ? Tous fous ? Tous dangereux ? Un parcours d’internement, c’est quoi exactement ? Quels dispositifs de soins existent en aile psychiatrique ? Que deviennent les personnes internées une fois dehors ? » etc...
Ainsi qu’un regard jeté sur le passé de cette clinique peu commune permettant de comprendre l’évolution d’une institution jusqu’à son projet de places réservées à l’internement.

Objectifs de ce partenariat rédactionnel : aller au-delà des idées reçues et pourquoi pas, favoriser la concertation entre soins hospitaliers et ambulatoires...
Ces articles se veulent écrits comme un feuilleton, par épisodes et seront publiés d’octobre 2017 à septembre 2018.

*CBCS : Conseil Bruxellois de Coordination Sociopolitique

Troisième article de notre série "L’internement comme trajectoire pénale", par Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue.
"On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où on va". (deuxième partie)

Dans les épisodes précédents


Notre réalité du terrain nous a donné l’envie de partager notre expérience dans la prise en charge des personnes internées. Dans un premier temps, nous avons voulu balayer certaines idées reçues dont celle, prégnante dans la société, que l’internement représente une échappatoire à la prison, ce qui, rappelons-le, est totalement FAUX. Avant d’aller plus loin dans les questions spécifiques liées à cette clinique singulière, nous avons voulu raconter l’histoire de notre institution car si l’on ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va, il importe de savoir d’où l’on vient. Dans l’article ci-dessous, nous racontons la genèse de notre projet d’accueil de patients libérés à l’essai dans le cadre du trajet de soins pour patients internés.

La genèse : accorder nos valeurs et nos actes


La Directrice générale entre dans mon bureau fin 2013 et me demande si, par hasard, je ne serais pas intéressé de répondre à un appel à projet dans le cadre du trajet de soins pour patients internés poétiquement appelé : « Projet dans le cadre du solde des moyens pour le plan pluriannuel de l’autorité fédérale portant sur les internés ». Surprise et à nouveau perplexité. J’étais moi-même pétri de représentations sociales stigmatisantes à connotation négative concernant les personnes internées même si, de manière très exceptionnelle, nous avions déjà accueilli l’une ou l’autre de ces personnes dans notre clinique.

Bien sûr, d’un point de vue moral, idéologique et éthique, nous vibrions à l’unisson de l’indignation de la Ligue des Droits de l’Homme et étions prompts à dénoncer les conditions, souvent inhumaines, du quotidien de ces personnes.
Bien sûr, nous ne pouvions que déplorer les manquements de l’Etat belge à l’égard des internés. 
Bien sûr, nous plaidions pour un meilleur équilibrage entre le soin et la sécurité.

Bien sûr, … mais de là à entrer dans la danse et ouvrir l’une de nos unités à l’accueil de 5 patients libérés à l’essai - puisqu’il ne s’agissait, dans cette première vague, que d’accueillir 5 personnes - c’était une autre histoire … 
Puis, considérant qu’il fallait être cohérent et accorder nos valeurs avec nos actes, nous avons répondu favorablement à la proposition de notre Directrice générale et avons ensemble écrit un projet thérapeutique, bien conscients d’être totalement novice en la matière.

Nos premiers pas : comme des routards mal préparés…


Courant 2014, le premier avril pour être précis, nous recevons un avis favorable du Ministère avec, en sus, un petit financement permettant d’engager du personnel complémentaire afin d’accueillir, parmi les autres patients de l’unité BAOBAB, majoritairement souffrant de trouble psychotique bipolaire ou apparenté, 5 personnes libérées à l’essai.

L’idée était de proposer une alternative aux structures spécialisées dans la prise en charge des internés et d’accueillir ces patients comme et parmi les autres et ce, sans modifier notre cadre de soins totalement ouvert. L’idée générale étant de privilégier le soin en exerçant une fonction contenante plutôt que la contention sécuritaire.

L’appel à projet émanant du très officiel SPF Santé en lien avec le SPF Justice, nous pensions, premier acte de candeur, qu’il répondait à une demande et à une attente forte du terrain afin de pouvoir désincarcérer ces patients. Nous nous attendions à être rapidement submergés de demandes, pensez-vous, près de 4.000 internés et 5 petites places dans notre institution … Mais, rien ! Pas un mail, pas un coup de fil … Rien !

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Surpris et étonnés, nous contactions les personnes relais chargées de l’implémentation du projet. S’en suit une réponse laconique : 
  « Il faut vous faire connaitre ! » 
  « Quoi, personne n’est au courant ? » 
  « C’est possible »

Certes, le projet a été lancé le premier avril, mais quand même.
Pas de patient donc, mais déjà des réunions de concertation, de coordination, de comité d’accompagnement et autre comité stratégique. Toujours pas de patient mais un mantra qui tourne dans nos têtes « il faut apprendre et il faut nous faire connaitre ». A oui, mais de qui ? Tout cela semble compliqué ! Mais encore. Nous contactons à nouveau les coordinateurs du projet : 
  « Qui devons-nous rencontrer ? » 
  « Toutes les personnes qui participent à la prise en charge des internés » 
  « C’est-à-dire ? » 
  « Les services psychosociaux et les équipes de soins des annexes psychiatriques par exemple » 
  « Les services psychosociaux et les équipes de soins c’est pas la même chose ? » 
  « Non ! les uns expertisent et construisent le projet » 
  « Et les autres ? » 
  « Ils soignent ! » 
  « Soigner, n’est-ce pas aussi participer à la construction d’un projet ? » 
  « Pas ici. Et de plus, c’est écrit dans la loi, ces deux entités ne sont pas censées communiquer entre elles ! » 
  « Ah bon. D’accord, allons les voir mais, elles sont où ces annexes ? »
Des novices qu’on était, vous dis-je ! 
  « Ah oui, il faut aussi visiter les établissements de défense sociale » 
  « Qui sont ? » 
  « Les Marronniers à Tournai et Paifve en région liégeoise » 
  « Ok, et au fond, elles dépendent de qui ces institutions ? » 
  « Tournai, du SPF Santé et Paifve, du SPF Justice » 
  « C’est quoi la différence ? » 
  « En gros, à Tournai, ce sont les soignants qui ont les clés et, à Paifve, ce sont les gardiens » 
  « Ok, mais, qui sont les envoyeurs ? » 
  « De toute façon, il vous faut rencontrer les différentes Commissions de défense sociale, c’est eux qui prennent les décisions » 
  « Ah. Et elles sont où ces Commissions ? » 
  « Un peu partout ! »

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Petit moment de doute et de flottement … qu’est-ce qu’on fout là ?! 
Alors on apprend, on se forme, on se renseigne, on visite, on invite, on écoute, on prend des notes et on accueille enfin nos premiers patients au compte-goutte. Bref, nous tentons de nous guider dans les arcanes des structures médico-judiciaires tels des routards mal préparés.

Ce qui nous a le plus frappé, et ceci dit sans parano aucune, c’est que pour le moins personne ne voyait en nous l’avenir radieux de l’internement ! Mais plutôt, des hurluberlus naïfs et utopiques, se vantant d’avoir inventé l’eau froide.

La construction


Ah oui, quitte à passer pour des naïfs, notre projet thérapeutique évoquait une durée de séjour de 6 mois et ce, alors qu’il faut parfois 6 mois à un interné pour obtenir une permission de sortie afin de pouvoir se rendre à un entretien de préadmission chez nous.

Qu’à cela ne tienne, nous ferons et faisons toujours le premier entretien de préadmission en prison. Et les patients continuent à arriver tant bien que mal. Après cette période de lancement pour le moins balbutiante, nous avons adopté une vitesse de croisière et accueilli au terme de la première année complète, 2015, dix patients internés, ce qui correspondait à notre « cahier des charges » 5 patients, 6 mois de séjour, égale à 10 patients.

Sans pouvoir encore clamer, loin de là notre expertise de soins en la matière, nous avons progressivement acquis un certain niveau de connaissance du réseau, créé des liens, fait des rencontres, souvent belles, et appris, courant 2015, qu’il nous était proposé de passer de 5 à 10 lits à partir de janvier 2016 avec, toujours à la clé, un petit subside permettant d’étoffer encore l’équipe. Aux infirmières, éducateurs, assistantes sociales, se sont ajoutées une psychologue et une psycho-criminologue aujourd’hui, coauteur de cette série d’articles.

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Nous avons poursuivi notre démarche de professionnalisation de l’équipe, tenté d’améliorer notre savoir-faire et développé le faire-savoir à travers des rencontres qui nous ont autant permis de faire connaissance que de nous faire connaitre, de tisser des liens et d’apprendre.

Progressivement, notre carnet d’adresses s’est étoffé : avocats spécialistes en la matière, psychiatres des prisons et des instituts de défense sociale, assistants de justice, au-delà des incontournables de la maison de justice de Nivelles, équipes mobiles, relais, outreaching, professeurs de criminologie, membres des diverses Commissions de défense sociale et, tout cela bien sûr, avec le soutien de la coordinatrice du trajet de soins et du responsable auprès du SPF Santé du trajet de soins.

Sur le terrain, nous continuons à apprendre notre métier tout en gardant le cap des objectifs que nous nous étions fixés. Au moment où nous avions enfin commencé à maitriser les arcanes juridiques et médicolégales du système belge d’internement, nous apprenons qu’une nouvelle loi allait enfin entrer en application en octobre 2016. Nouvelle loi, nouvelles pratiques et nouvelles inconnues mais, cette-fois, pas que pour nous, mais pour l’ensemble des intervenants autour de la question de l’internement.

La consolidation


L’intention sous-jacente à cette nouvelle loi, par d’aucun jugée d’emblée trop juridique et rigide, est de répondre aux inflexions des structures européennes et mondiales des Droits de l’Homme qui n’ont cessé de pointer du doigt la Belgique comme mauvais élève de l’Europe en matière de prise en charge des patients internés. Jugés non condamnables car non responsables, ils croupissent pourtant parfois plusieurs années dans les annexes psychiatriques de nos prisons où leur sort n’est certainement pas plus à envier que ceux des prisonniers des droits communs.

Parmi les projets du master plan interné, c’est ainsi qu’on l’appelle car il rassemble les compétences d’au moins 3 ministères SPF Santé, SPF Justice et régie des bâtiments, il y a la construction de « Centre de psychiatrie légale ». Ce, afin de sortir les internés de prison et d’augmenter la place du soin dans un environnement résolument sécuritaire.

Deux centres existent déjà en Flandre, à Gand et à Anvers. Il est question de transformer Paifve et Tournai en « CPL » et de construire, pour l’arrondissement de Bruxelles et du Brabant Wallon, un « CPL », en Brabant Wallon, à Wavre. Le CPL déjà annoncé dans la presse mais pas encore construit et pour cause, il n’est pas sûr que le terrain soit déjà acquis et, au moment de la rédaction de cet article, pas plus que n’est encore disponible voire écrit le dossier d’appel à projet censé permettre de recruter les futurs opérateurs de ce centre.

Dans l’attente de ce CPL, les structures hospitalières impliquées dans la prise en charge des patients internés furent sollicitées par le SPF Santé pour « upgrader » moyennant financement, les lits consacrés aux patients internés. C’est ainsi qu’il nous a été proposé, comme à d’autres institutions, de transformer l’ensemble de l’unité BAOBAB en unité médicolégale, passant ainsi de 5 patients en avril 2014 à 26 patients soit, l’entièreté du service en juillet 2017 et ce, avec un engagement assez conséquent de personnel à l’appui.

Voilà comment aujourd’hui, à défaut de savoir où l’on va, vous pouvez vous faire une idée d’où l’on vient.

Docteur Schepens, psychiatre
Virginie De Baeremaeker, Psychologue clinicienne,
Clinique de la Forêt de Soignes, décembre 2017

Illustrations : Charlotte De Saedeleer

Rendez-vous en janvier 2018 !

Le prochain article sera consacré à cette question qui fâche : « Tous fous ? Tous dangereux ? ».

http://www.cbcs.be/Trajet-de-soins-pour-patients-internes-de-la-prison-a-un-cadre-de-soin-ouvert


 

Justice et santé mentale #2

 

Justice et santé mentale, l’internement en Belgique expliqué par des professionnels de la santé

La Clinique de la Forêt de Soignes : une folle histoire !

A l’initiative de deux professionnels de la santé mentale, le Docteur Pierre Schepens, Psychiatre - médecin chef du site de la Clinique de la Forêt de Soignes et Virginie De Baeremaeker, Psychologue-criminologue à la Clinique de la Forêt de Soignes, le CBCS* diffuse une série d’articles sur l’internement en Belgique, comme trajectoire pénale (et non comme mesure de protection), souvent mal connue.
Avec, entre autres, ces questions : « Etre interné pour échapper à la prison ? Tous fous ? Tous dangereux ? Un parcours d’internement, c’est quoi exactement ? Quels dispositifs de soins existent en aile psychiatrique ? Que deviennent les personnes internées une fois dehors ? » etc...
Ainsi qu’un regard jeté sur le passé de cette clinique peu commune permettant de comprendre l’évolution d’une institution jusqu’à son projet de places réservées à l’internement.

Objectifs de ce partenariat rédactionnel : aller au-delà des idées reçues et pourquoi pas, favoriser la concertation entre soins hospitaliers et ambulatoires...
Ces articles se veulent écrits comme un feuilleton, par épisodes et seront publiés d’octobre 2017 à septembre 2018.

*CBCS : Conseil Bruxellois de Coordination Sociopolitique

Ce second article de notre série "L’internement comme trajectoire pénale" s’attache cette fois à l’histoire de la Clinique de la Forêt de Soignes, lieu de travail des auteurs de cet article - Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue. Ce regard jeté sur le passé permet de comprendre l’évolution d’une institution jusqu’à son projet de places réservées à l’internement. Et comment l’espace - bien plus que de simples murs - joue un rôle essentiel dans la réflexion et la prise en charge autour de ces patients et invite les professionnels de la santé mentale à réinventer leurs pratiques.

Pourquoi parler de l’internement comme trajectoire pénale ?

« Notre réalité de terrain nous a donné envie de partager notre modeste expérience dans la prise en charge des personnes internées et, par ce biais, d’en découdre avec certaines idées reçues. Ainsi nous avons fait le constat que la mesure d’internement n’était en rien une échappatoire à la prison ni une non-réaction de la justice belge, mais bien une trajectoire pénale sensée être à mi-chemin entre le juridique et le soin. Cette série d’articles prend naissance dans notre pratique clinique quotidienne avec des personnes internées libérées à l’essai à l’Unité Baobab de la Clinique De la Forêt De Soignes. Cette pratique est elle-même influencée par l’histoire de cette clinique peu commune que nous proposons de vous raconter ici. » Virginie De Baeremaeker, psychologue. 

La Clinique de la Forêt de Soignes : une folle histoire !

"On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où on va" (Chistophe Colomb)
Il était une fois, une histoire folle, une histoire de fous.
Après que la Directrice Générale de la Clinique Docteur Dersheid soit venue, courant 2006, me proposer de quitter le confort, certes tout relatif, du service de Psychiatrie d’un grand hôpital du Brabant Wallon que je dirigeais à l’époque pour piloter un nouveau projet à Dersheid, je fus pour le moins perplexe. 
Dersheid ?! Cette énigme nichée au cœur de la Forêt de Soignes qui invitait à rejoindre une plaque signalétique « Dr. Dersheid », que tout navetteur empruntant le ring de Bruxelles a dû croiser mille fois du regard.
Dersheid ?! Cette clinique qui a fait les beaux jours et les fous-rires de feu l’émission humoristique phare de la première chaine radio de la RTBF, « Le jeu des dictionnaires ».
Dersheid ?! Cette clinique que tout le monde de la santé mentale connaissait sans savoir si elle existait vraiment.
Dersheid ?! Cette clinique dont on ne savait plus si elle était gériatrique ou psychiatrique.
Le deal était le suivant : « Je te donne 90 lits et tu y construis un projet thérapeutique psychiatrique cohérent, innovateur, avec carte blanche totale ». Indubitablement, cela méritait une petite visite.

Alors, j’ai fait ce que peu de gens ont fait, quitter la routine du ring pour suivre le fameux panneau « Dr. Dersheid ». Ensuite, j’ai emprunté la contre-allée qui mène au chemin du sanatorium car, oui, historiquement, la Clinique était, au départ, un sanatorium accueillant des patients souffrant de tuberculose, maladie endémique au début du XXème siècle. Le chemin s’engage dans la Forêt de Soignes pour aboutir au domaine de la clinique proprement dit.

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La clinique comporte deux bâtiments principaux, le plus ancien inauguré en 1905 à l’allure d’un décor de cinéma – ce qu’il a d’ailleurs été à l’occasion entre autre du tournage d’Oscar et La dame rose et du Huitième Jour. Il fit office, dans un premier temps, de sanatorium pour hommes avant d’accueillir, dans les années septante, 60 lits psycho-gériatriques sous le nom de Pavillon Laennec. Aujourd’hui, ce pavillon est vide et rendu à la nature et à la Région Wallonne, propriétaires des lieux.

En poursuivant mon chemin, je croise sur la gauche une chapelle érigée en 1935 par une grande famille donatrice. Puis j’aperçois, au bout de la route, le bâtiment le plus récent, inauguré dans son architecture actuelle en 1937 et qui héberge actuellement la Clinique de la Forêt de Soignes.

Le docteur Derscheid, pas qu’un mythe !

A cette époque, en 1937, les pavillons Vésale et Laennec constituaient le sanatorium : « Les Pins ». Ce sanatorium était dirigé par le Docteur Gustave DERSHEID (1871-1952) et administré par l’ASBL ANBCT . Cette association créée en 1923 est toujours aujourd’hui l’ASBL faitière de la Clinique de la Forêt de Soignes au sein de Silva Medical.

Première révélation, le Docteur Derscheid a bien existé et n’était ni aliéniste, ni psychiatre, mais pneumologue spécialiste de la tuberculose et collègue et contemporain entre autre du célèbre Docteur Bordet dont un hôpital Bruxellois porte également le nom.

Non content de diriger la clinique, le Docteur Dersheid a également, durant la guerre 1940-1945, ferraillé avec les autorités Nazi pour protéger de la famine et de l’abandon les patients de sa clinique et ce, sans jamais faire d’aucune sorte allégeance au régime Nazi ni collaborer de quelque manière que ce soit avec les occupants. Il fut même, avec son épouse, brièvement incarcéré. Avec d’autres, il négocie le maintien de soins dignes pour les patients et obtient même qu’un timbre soit émis par la poste pour subsidier la lutte contre la tuberculose avec l’aval des autorités allemandes. Ce qui ne manque pas de piquant quand on sait que le logo de la lutte contre la tuberculose est la croix de Lorraine qui est aussi le symbole du Général De Gaulle et de la Résistance Française. Ce qui semble avoir totalement échappé aux autorités Allemandes.

Le Docteur Dersheid meurt le 11 janvier 1952, au moment où les antibiotiques annoncent la victoire contre la tuberculose qui signe également la fin des sanatoriums et le début du traitement ambulatoire de cette maladie.

A l’aube d’une nécessaire réorientation de la clinique, celle-ci fut rebaptisée « Clinique du Docteur Dersheid », nom qu’elle portera jusqu’en 2011, année où j’ai, avec beaucoup de complicité, « tué le Père » et rebaptisé l’institution du nom actuel de la Clinique de la Forêt de Soignes. Mais ceci est une autre histoire.

Une clinique "dépaysante" et décalée...

J’entre donc dans le Pavillon Vésale. La première impression, outre la beauté époustouflante de la Forêt, est le sentiment de calme et de sérénité. Ensuite, c’est l’extrême propreté des lieux qui leur donne plus un côté vintage que vieillot et, surtout, la grande gentillesse de tout le personnel soignant que j’ai pu y rencontrer. Bref, plus qu’un choc, ce fut un contraste, un dépaysement total par rapport à la cohue et au stress inhérent de l’hôpital général qui faisait, à l’époque, mon quotidien.

Je fus accueilli par la Directrice Générale, la Directrice Médicale et le Président du Conseil d’Administration de l’ANBCT de l’époque, le Docteur Raoul Titeca.
Tous trois me confirmèrent le deal : « Tu viens travailler chez nous et tu auras carte blanche pour construire un projet psychiatrique avec les 90 lits dont dispose la clinique ». La perplexité a complètement disparu pour faire place au désir de relever le challenge. J’ai rapidement décidé de donner ma démission de Chef de Service de Psychiatrie. Cette décision a laissé perplexe mes collègues et le Directeur Médical et Général de la Clinique que je quittais. Après un préavis presté en bonne et due forme, j’intègre mes nouvelles fonctions le 1er septembre 2007.

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Et que s’est-il passé pour la Clinique Dersheid entre l’éradication de la tuberculose et mon arrivée à la tête du département psychiatrique ? Entre 1955 et 1975, les sanatoria de l’ANBCT connaissent une situation difficile. Le traitement ambulatoire de la tuberculose a rendu leur rôle marginal. En 1975, la clinique du Docteur Derscheid disposait toujours de 219 lits. Malgré une première évolution qui a permis de transformer une partie des lits en service de revalidation cardio-pulmonaire, les autres lits, toujours dédiés à la tuberculose étaient chroniquement sous-occupés. Il fallait être lucide, les sanatoria étaient voués à la disparition. Leur existence même était remise en question par le ministère de la santé publique. Il fallait réagir, ce que firent les administrateurs qui sollicitèrent l’aide de leur fédération hospitalière. Celle-ci répondit présente et un nouveau conseil d’administration fut mis sur pieds sous la direction du célèbre Docteur Wynen, chirurgien patron de la Clinique de Braine l’Alleud et grand défenseur de la profession médicale face à l’Etat.

L’implication du Docteur Wynen était très probablement liée au fait qu’il a lui-même, à la sortie du camp de concentration de Buchenwald, souffert d’une tuberculose pulmonaire grave qui l’a cloué deux ans au lit dans un sanatorium après la guerre. 
Sous l’égide du Docteur Wynen un plan de reconversion solide a vu le jour. Dersheid deviendra progressivement un centre de revalidation cardiologique, polypathologique, locomoteur mais également psychiatrique, la clinique accueillant 90 lits de psychiatrie. Ces fameux 90 lits qui me seront confiés dès 2007.
Après avoir en quelque sorte ressuscité l’institution, le Docteur Wynen cesse ses activités et cède la main. C’est le Docteur Raoul Titeca, psychiatre et gestionnaire – et oui ce n’est pas incompatible-qui reprend la direction du conseil d’administration en 1998. Il décide de solliciter l’implication des grandes familles industrielles qui ont lancé l’aventure au début du XXème siècle dont la famille Solvay.

La clinique reprend son développement mais subit les conséquences de la régionalisation. Désormais, le site appartient à la Région Wallonne qui classera le domaine en site Natura 2000. Concrètement, cela représente certains bienfaits pour la nature mais cela implique qu’aucun développement de la Clinique ne sera désormais possible sur ce magnifique site naturel. Le conseil d’administration cherche un nouveau lieu pour construire une clinique moderne dans la région de Wavre. L’ANBCT achète au CPAS de Wavre les 95 lits de revalidation du Champs Sainte-Anne qui s’ajoutent à ceux de Dersheid. En 2007, au moment de mon arrivée, il était déjà clairement question de faire déménager les lits de médecine somatique et de revalidation de Dersheid vers Wavre où ils fusionneraient avec les 95 lits du Champs Saint-Anne dans ce qui deviendra la Clinique du Bois de la Pierre. Il ne resterait alors, sur le site de Dersheid, que les 90 lits de psychiatrie, majoritairement occupés par des patients psycho-gériatriques.

De la psychogériatrie à la psychiatrie

Mon arrivée et la mise en place du nouveau projet psychiatrique s’inscrivent indubitablement dans une nouvelle et vaste réorganisation rendue nécessaire, comme les précédentes, par l’évolution du paysage médical social et politique du pays.

Petit à petit, les choses prennent forme avec la collaboration, souvent enthousiaste, parfois inquiète, de tout le personnel. Nous décidons, au fur et à mesure, de transformer les 4 unités orientées psychogériatrie en unités de psychiatrique centrées sur les problématiques de santé mentale non ou trop partiellement prises en charge dans le Brabant Wallon avec l’objectif de nous inscrire de manière beaucoup plus lisible dans le réseau psychiatrique et de Santé Mentale du Brabant Wallon et, plus largement, de la Fédération Wallonie Bruxelles. Savoir-faire et faire-savoir constituaient la base de nos objectifs indissociables.

A l’aube du déménagement des patients somatiques vers la Clinique du Bois de la Pierre, nous disposions de 4 unités : une de psychiatrie générale, une d’alcoologie, une de prise en charge des patients psychotiques et pathologie apparentée et une unité de psycho-gériatrie.

Une fois la Clinique du Bois de la Pierre inaugurée, le moins que l’on puisse dire est que le site de Dersheid fut étonnamment vide et silencieux. Les 90 lits occupaient désormais un espace initialement dédicacé à près de 160 patients.

Ces grands espaces vides nous ont donné des idées et nous ont amené à retravailler le projet thérapeutique en tenant compte de l’espace libre et du relatif isolement de la Clinique « perdue au milieu de la Forêt de Soignes ».Plus encore qu’avant, il devenait vital de développer des réseaux de collaboration tant avec les structures de réseau de santé mentale qu’avec les hôpitaux généraux de la région, sans oublier de maintenir un lien avec la Clinique du Bois de la Pierre désormais à une petite demie heure de route, du moins, quand la circulation le permet. La Clinique du Bois de la Pierre et la clinique Docteur Dersheid sont regroupés sous le nom barbare de CHRPBW.

Le projet psychiatrique s’est affiné, nous avons, en deux temps, supprimé toute référence à la psychogériatrie en augmentant les lits de l’unité d’alcoologie et de l’unité pour patients psychotiques. Mais, surtout, nous avons, avec l’appui total et enthousiaste de la Direction et du Conseil d’Administration, créé un hôpital de jour, disposant de 17 places. Le projet étant bien structuré, chaque unité fut baptisée en lien avec cette chance inouïe que l’on a de travailler au milieu des bois. L’unité de psychiatrie générale porte désormais le nom de Nemos, l’unité d’alcoologie d’Aubier, l’unité pour patients psychotiques se nomme Baobab et l’hôpital de jour, dès sa naissance, porta le nom de Renouée.

Le temps était venu de tuer symboliquement et définitivement le Père et de changer, une nouvelle fois, le nom de l’institution. C’est ainsi, qu’en 2011, à l’occasion de l’enregistrement d’une des dernières émissions « Le jeu des dictionnaires », nous avons décroché le panneau « Dr. Dersheid » qui aujourd’hui trône dans mon bureau entre un portrait de Serge Gainsbourg et un calendrier à l’effigie de Bob Marley, pour le remplacer par celui de la Clinique de la Forêt de Soignes. Entre temps, le Conseil d’Administration est resté actif et, à la faveur de la régionalisation des soins de santé, a accueilli en son sein la Clinique du Scheutbos, hôpital gériatrique situé à Bruxelles.

Suite à cela, le nom barbare et éphémère de CHRPBW fut remplacé par l’actuel Silva Medical.

Quelle histoire !

Tout semblait enfin stable. Fini le sanatorium des Pins, le Pavillon Laennec, le Pavillon Vésale, la Clinique Docteur Dersheid et le CHRPBW. Ne reste plus que l’ANBCT, toujours présente bon pied bon œil depuis 1923 et Silva Medical avec ses 3 sites : Bois de la Pierre, Forêt de Soignes et Scheutbos.

Tout semblait calme disais-je, du moins, jusqu’au jour où la Directrice Générale, cette-fois, de Silva Medical mais toujours la même personne, entra dans mon bureau …

Docteur Schepens, psychiatre
Virginie De Baeremaeker, Psychologue clinicienne,

Clinique de la Forêt de Soignes, novembre 2017

La suite, dans le prochain épisode du mois de décembre !

Illustrations : Charlotte De Saedeleer

Notes
[1] Pour rappel, le CBCS diffuse une série d’articles sur l’internement en Belgique, comme trajectoire pénale (et non comme mesure de protection), souvent mal connue. Pour plus d’info et accès aux autres articles, c’est par ici.

 http://www.cbcs.be/La-Clinique-de-la-Foret-de-Soignes-une-folle-histoire


 

Justice et santé mentale #1

 

Justice et santé mentale, l’internement en Belgique expliqué par des professionnels de la santé

L’internement : mieux comprendre, se comprendre, décloisonner...

A l’initiative de deux professionnels de la santé mentale, le Docteur Pierre Schepens, Psychiatre - médecin chef du site de la Clinique de la Forêt de Soignes et Virginie De Baeremaeker, Psychologue-criminologue à la Clinique de la Forêt de Soignes, le CBCS* diffuse une série d’articles sur l’internement en Belgique, comme trajectoire pénale (et non comme mesure de protection), souvent mal connue.
Avec, entre autres, ces questions : « Etre interné pour échapper à la prison ? Tous fous ? Tous dangereux ? Un parcours d’internement, c’est quoi exactement ? Quels dispositifs de soins existent en aile psychiatrique ? Que deviennent les personnes internées une fois dehors ? » etc...
Ainsi qu’un regard jeté sur le passé de cette clinique peu commune permettant de comprendre l’évolution d’une institution jusqu’à son projet de places réservées à l’internement.

Objectifs de ce partenariat rédactionnel : aller au-delà des idées reçues et pourquoi pas, favoriser la concertation entre soins hospitaliers et ambulatoires...
Ces articles se veulent écrits comme un feuilleton, par épisodes et seront publiés d’octobre 2017 à septembre 2018.

*CBCS : Conseil Bruxellois de Coordination Sociopolitique

Surveiller et prescrire ?

 « L’état psychotique, échappatoire à la prison ? » [1]. Voilà ce qu’on pouvait lire à la une de Libération le 29 novembre 2011 lors du procès du norvégien Anders Behring Breivik, dit le tueur d’Oslo, terroriste norvégien ayant perpétré et revendiqué les attentats terroriste du 22 juillet 2011 en Norvège. Lors de son procès, la question de la responsabilité pénale s’est posée et a suscité de vives réactions dans la presse. Considéré comme pénalement responsable de ses actes, Anders Behring Breivik a finalement été condamné à vingt et un ans de prison.

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Quatorze ans plus tôt, c’est un autre criminel qui fait la une du même quotidien : 
« Le garagiste bruxellois accusé de l’enlèvement et du viol de Loubna Benaïssa, la petite Marocaine de 9 ans retrouvée morte en mars dernier, a été déclaré « irresponsable » par les experts psychiatres. Ceci va vraisemblablement arrêter les poursuites contre ce récidiviste de 34 ans, dont les aveux avaient déclenché en Belgique une vague d’émotions et de colère comparable à celle provoquée en août 1996 par l’affaire Dutroux » [2]. Interné jusqu’à son dernier souffle, Patrick Derochette décèdera le 14 décembre 2016.

Y-a-t-il un quelconque intérêt pour un criminel à se faire interner ? « Cela va vraisemblablement arrêter les poursuites »… Nous semblons, pour la plupart d’entre nous, animé par l’idée que l’internement permettrait d’échapper à la prison, voire à la justice, cette idée reçue crée souvent dans l’opinion publique et dans le vécu des familles un énorme sentiment d’injustice mêlée à de l’insécurité. On s’interroge parfois sur la raison pour laquelle certains auteurs de crimes parfois violents s’en sortent « si facilement » et justice est dans ce cas bien fortement réclamée.

Il semblerait donc que plaider la folie soit une bonne tactique pour passer entre les mailles du filet d’une justice répressive. Et cette rumeur a la peau dure. Outre l’opinion publique, certains professionnels véhiculent cette idée jusque dans la presse. C’est le cas d’un expert psychiatre qui déclare dans La Capitale le 18 février 2013 : « Il n’est pas le seul, parmi les détenus, à faire semblant d’entendre des voix pour échapper à la justice » [3]. Les détenus eux-mêmes n’échappent pas à cette contamination. Tout comme le personnage de Randle P. Mc Murphy (Jack Nicholson) dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou » [4] qui choisit de se faire interner pour échapper à la prison alors qu’il est accusé de viol sur mineur, certains détenus sont convaincus que l’internement leur évitera de longues années de prisons. En réalité, Mc Murphy ainsi que tous ceux qui sont finalement internés, réalisent progressivement que l’internement n’est pas un si bon plan… et ce n’est rien de le dire !

Tout au long de notre parcours dans les méandres de la défense sociale, il nous a été donné de découvrir des patients, des justiciables, des histoires, des non-sens, …. Nous nous sommes senti de temps à autres impuissants, compétents, touchés, désemparés, soulagés, inquiets, étonnés, … Nous sommes candides dans le domaine et, bien que outrés, pas (encore ?) découragés par la manière dont la justice belge traite nos malades mentaux. C’est cette énergie naïve qui nous donne aujourd’hui envie d’informer sur une réalité, la nôtre, de l’internement en Belgique. Afin de parler un même langage, il nous semble important de resituer clairement ce que représente pénalement cette mesure prise à l’encontre des « criminels malades mentaux ».

Une trajectoire pénale parmi d’autres…

Il existe actuellement dans le droit pénal belge, différentes trajectoires possibles. Certaines s’avèrent statistiquement plus présentes, tel que le circuit pénal classique dans lequel une personne ayant commis un fait est jugée et condamnée à une peine. Cependant, bien que moins courante, l’internement n’en reste pas moins une trajectoire pénale à part entière. Cela permet d’ores et déjà d’affirmer que la mesure d’internement ne permet pas d’échapper à la justice !

Une trajectoire pénale possible donc … Et pas n’importe laquelle puisqu’actuellement la population des internés dans nos prisons est en constante augmentation : selon le dernier rapport de l’Observatoire International des Prison (OIP), les internés étaient 640 en 2000 et 1.088 en 2014. « Ils ont ensuite diminué, principalement en raison de l’ouverture du centre de psychiatrie légale à Gand, le nombre d’internement prononcé par la justice n’ayant pas fluctué. Ils étaient environ 860 début 2016 ». [5] Faisant ainsi de cette population de justiciables, celle qui augmente de manière la plus significative, et représente 10 % de la population carcérale. Selon les statistiques du SPF justice, la population des internés en Belgique a augmenté de plus de 85 % cette dernière décennie. [6] En effet, le nombre de personnes pour qui la justice prononce une mesure d’internement est largement supérieur au nombre de personnes qui sont libérées définitivement, c’est-à-dire « désinternées ».

Mais l’internement c’est quoi exactement ?

Avant toute chose, il s’agit de différencier deux types d‘internement afin de ne pas les confondre : la trajectoire pénale (loi relative à l’internement du 5 mai 2014) et la mesure de protection (loi relative à la protection de la personne des malades mentaux du 26 juin 1990). Ce qui nous intéresse ici, c’est l’internement comme trajectoire pénale, c’est-à-dire la décision judiciaire prise face à quelqu’un qui a violé la loi, et qui dans ce cadre-là est déclaré « fou » et « dangereux ». L’actualité regorge de faits divers de ce genre, un « fou » a commis un acte de folie qui tombe sous le coup de la loi. Par exemple, ce patient du centre Hospitalier Jean Titeca qui, en janvier 2016, blesse sept personnes à l’arme blanche dans le service où il résidait. A ne pas confondre avec la mesure de protection prévue par la loi du 26 juin 1990 qui peut être prise à l’égard d’une personne qui est reconnue « malade mentale », qui met en péril sa santé ou sa sécurité et/ou constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui sans qu’aucun traitement ne soit possible. Cette mesure de protection, soumise à l’appréciation du juge de paix, n’a rien d’une trajectoire pénale. Elle est prévue pour le « fou » potentiellement dangereux mais qui n’a pas enfreint la loi.

Précision faite, entrons dans la réalité judiciaire de l’internement en droit belge. Bien que légèrement rébarbatif de temps à autre, l’aspect pénal est essentiel, puisque comme nous l’avons vu un interné est un fou certes, mais un fou décrété « dangereux ». Ce qui le place d’emblée dans une double réalité : à la fois judiciaire et clinique. Avec une difficulté supplémentaire : ces deux mondes ne parlent pas la même langue, ce qui permet de comprendre pourquoi, parfois, elles ne s’entendent pas.

Il reste à comprendre comment la justice se prononce sur le « diagnostic » de « fou-dangereux ». Tout d’abord, pour être établie, une infraction doit réunir deux éléments : un élément matériel (l’accusé a-t-il commis les faits ?) et un élément moral (savait-il ce qu’il faisait ?). Si le jury répond "oui" à ces deux questions, cela signifie qu’il estime que les deux éléments fondateurs de l’infraction sont réunis et que l’auteur des faits était responsable de ses actes au moment des faits. Dans le cas précis de l’internement, le jury répond non à la deuxième question, considérant ainsi que l’auteur « n’avait pas toute sa tête » au moment des faits. En effet, selon l’article 71 du code pénal, « il n’y a pas d’infraction, lorsque l’accusé ou le prévenu était en état de démence au moment des faits ». Autrement dit, on reconnaît qu’il y a eu une infraction mais on estime que l’état mental de la personne ne nous permet pas de le considérer comme pénalement responsable de son acte et donc faire l’objet d’une peine.

Il semble que le discours médiatique s’arrête là, comme si ce constat d’irresponsabilité pénale était en soi une échappatoire à la prison. C’est par exemple le cas d’un quotidien belge qui en novembre 2015 publie un article sous le titre suivant : « Jean-Philippe Dhainaut sera interné sans être jugé », faisant référence à un matricide qui avait provoqué l’effroi en mars 2015 à Mons. Un trentenaire diagnostiqué schizophrène a mis fin aux jours de sa mère sans pouvoir expliquer son geste. « Déclaré irresponsable, il ne sera finalement pas jugé par une juridiction d’assises mais sera interné dans un établissement spécialisé. Ses troubles mentaux ainsi que la faiblesse de ses facultés intellectuelles lorsqu’il a commis son acte meurtrier présageaient ce placement en hôpital psychiatrique. » [7]

Lorsque la presse précise que cet auteur ne sera pas jugé devant la Cour d’Assise, cela ne signifie absolument pas que la justice belge laisse cet acte sans réponse. Que du contraire, jugé irresponsable et dangereux, le système pénal belge cherche pour cet auteur une réponse adéquate tant à la folie qu’à la dangerosité. Et ce, en partant de l’idée émise par Marc Metdepenningen, chroniqueur judiciaire dans le journal Le Soir, qu’« un état démocratique ne poursuit pas pénalement ses fous dangereux, il a le devoir de les prendre en charge pour que plus jamais ils ne sévissent ». [8] C’est précisément dans cette lignée que s’inscrit la loi relative à l’internement.

Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue, à la Clinique de la Forêt de Soignes, octobre 2017

Illustration : Charlotte De Saedeleer

Pour en savoir plus sur la nouvelle loi internement :


Notes

[1http://www.allodocteurs.fr/actualite-sante-l-etat-psychotique-echappatoire-a-la-prison-_5414.html
[2http://www.liberation.fr/planete/1997/09/27/patrick-derochette-le-pedophile-belge-declare-irresponsable_215205
[3] Propos d’un expert psychiatre recueillis dans La Capitale le 18 février 2013 lors du procès du jeune Fiston Nyongabo accusé d’un meurtre commis en mars 2002 à Ixelles.
[4] Zaentz S. Et Douglas M. (Prod.), Forman M. (Réal.). (1975). One Flew Over the Cuckoo’s Nest (Film). Etats-Unis : United Artists.
[5] Notice 2016 www.oipbelgique.be
[6] Justice en chiffre 2010, SPF Justice.
[7] Publié le 30 novembre 2015
[8] Marc Metdepenningen (chroniqueur judiciaire) Le Soir, vendredi 5 mars 1999. Une défaite et une victoire.

http://www.cbcs.be/L-internement-mieux-comprendre-se-comprendre-decloisonner


 

La Gazette#55

 
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Réflexion pluridisciplinaire
relative à l’optimisation de la journée du patient

Dans un contexte de pression financière sur le secteur hospitalier, les patients quittent de plus en plus rapidement l’hôpital aigu modifiant ainsi - au fil du temps - leur profil. Cette évolution a pour conséquence d’augmenter la charge de travail du personnel et nous impose une adaptation de nos pratiques afin de rester un centre de référence en réadaptation. C’est notamment pour cette raison que nous avons mis en place un groupe de travail pluridisciplinaire. 


 

La Gazette#53

 
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SILVA medical remporte un HEALTH AWARD d’OR

Décernés dans le cadre de le la semaine de l’e-santé de la Région bruxelloise, ce prix récompense les efforts fournis par SILVA medical pour concrétiser l’e-santé.
Il a été remis le vendredi 5 mai 2017 par M. Didier Gosuin, ministre bruxellois en charge de la Santé.


 

La Gazette#51

 

Résultats des enquêtes de satisfaction à la Clinique du Bois de la Pierre : année 2016

 Durant l’année 2016, il y a eu 1925 personnes hospitalisées à la Clinique du Bois de la Pierre. Nous avons récolté 453 questionnaires complétés tout au long de l’année. Presque un patient sur 4 (24 %) répond donc au questionnaire.


 

La Gazette#49

 

Journée de Team building pour l’ensemble des cadres et des infirmiers en chef et adjoints du département infirmier SILVA medical

Le 16 décembre 2016, une journée de Team building « Voyage en Silvanie » a été organisée pour l’ensemble des cadres, des infi rmiers en chef et des infi rmiers en chef adjoints du département infi rmier de SILVA medical.


 

Fête annuelle SILVA medical

 

La fiesta est maintenant terminée mais nous sommes tous rentrés avec de précieux souvenirs! Nous avons partagé, mangé, dansé jusqu’au bout de la nuit et profité du moment pour rencontrer les collègues en dehors du cadre de travail habituel. Waar is da feestje???


 

SILVA medical RAPPORT ANNUEL 2015

 

Depuis la création de l’association SILVA medical en 2014, nous visons à améliorer la communication au sujet des activités développées sur chacun des sites. 

Nous avons dès lors le plaisir de vous présenter pour la première année ce rapport d’activité synthétique non exhausif, mais néanmoins assez complet. 

Comme vous le constaterez, le chantier de la fusion est énorme, et demandera encore beaucoup d’énergie dans les années à venir. 

Les nouveaux projets sont nombreux aussi. 

Grâce au professionnalisme et à l’enthousiasme de tous mes collaborateurs de SILVA medical, des collaborateurs du Centre de Service de l’Association Nationale Belge Contre la Tuberculose et grâce au soutien du Conseil d’Administration, nous pouvons sans cesse améliorer notre offre de soins.